December 13, 2024

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Le bien-être subjectif (SWB) : comprendre et mesurer la satisfaction de vie

Nino Gagnebien

Responsable du déploiement de Boussole

December 13, 2024

Introduction : Pourquoi s'intéresser au bien-être subjectif ?

Imaginez une société où la réussite ne serait pas jugée à l’aune des seuls indicateurs économiques comme le PIB, mais à travers ce qui compte vraiment : le bien-être global des individus. Cet idéal est à une portée de main grâce au concept du bien-être subjectif (Subjective Well-Being, SWB).

Le bien-être subjectif ouvre la voie à une approche révolutionnaire pour évaluer et améliorer la manière dont nos décisions – qu’elles soient politiques, économiques ou sociales – influencent directement le bien-être des personnes. Chez Boussole, nous croyons que la somme des SWB de chaque individu constitue une définition claire et mesurable de l’intérêt général. Cet article explore les fondements de cette mesure, ses dimensions clés, et son rôle croissant dans la transformation des politiques publiques et des stratégies d’entreprise à travers le monde.

Qu’est-ce que le bien-être subjectif (SWB) ?

Le bien-être subjectif est un concept qui englobe les perceptions et expériences personnelles des individus sur leur propre vie. Sa force réside dans sa capacité à réunir différentes facettes du bien-être sous une même grandeur d’intérêt:

  1. Les évaluations globales de la vie : Une réflexion cognitive sur la satisfaction générale de notre existence.
  2. Les expériences vécues : L'ensemble des émotions positives et négatives ressenties au quotidien.
  3. Le sentiment de sens et d'épanouissement : La connexion avec nos aspirations profondes et notre réalisation personnelle.

Bien que souvent assimilé au « bonheur », le SWB est plus vaste. Il combine les évaluations générales de la vie et les expériences ponctuelles de bonheur ou de stress. Cette approche globale en fait un indicateur essentiel pour comprendre et améliorer la qualité de vie.

Le SWB s'articule autour de trois dimensions principales, que nous explorerons en détail :

  • La dimension hédonique, qui se concentre sur les émotions et les plaisirs ressentis ;
  • La dimension cognitive, qui reflète notre évaluation rationnelle de la vie ;
  • La dimension eudémonique, qui explore les aspects profonds comme le sens et l'accomplissement personnel.

En intégrant des considérations relatives à ces trois domaines, le SWB dresse un portrait complet et nuancé du bien-être d’un individu.

1. Dimension hédonique : les émotions ressenties

La dimension hédonique reflète la balance entre les émotions positives (joie, sérénité) et négatives (stress, anxiété) dans la vie quotidienne. Ce domaine se concentre sur le plaisir et la douleur, mesurant à quel point les individus vivent des expériences agréables ou désagréables.

Des outils comme les échelles PANAS (Positive and Negative Affect Schedule) ou SPANE (Scale of Positive and Negative Experience) permettent de mesurer cette dimension. Pour aller plus loin, des méthodes comme le "Day Reconstruction Method" (DRM) ou l'"Experience Sampling Method" (ESM) capturent des données en temps réel sur les émotions vécues, rendant la mesure encore plus précise et évitant les biais liés à la mémoire.

2. Dimension cognitive : la satisfaction de vie

La dimension cognitive repose sur une évaluation globale de la vie d’une personne. Les individus sont invités à répondre à des questions comme : "Sur une échelle de 0 à 10, à quel point êtes-vous satisfait de votre vie ?" Ce type de mesure, souvent associé aux enquêtes longitudinales, est simple à collecter et fournit des indications claires sur le bien-être global.

3. Dimension eudémonique : sens et épanouissement personnel

La dimension eudémonique explore des concepts plus profonds liés à l’épanouissement humain, tels que le sens de la vie, le développement personnel et la vertu. Inspirée des travaux en psychologie positive, cette dimension mesure des éléments comme :

  • Le sentiment de vivre une vie qui a un but
  • La capacité à atteindre son plein potentiel
  • L’exercice de qualités comme la sagesse, le courage et l’intégrité

Bien que ces mesures soient encore peu utilisées à grande échelle, elles constituent un cadre essentiel pour comprendre le bien-être au-delà des simples ressentis ou évaluations de satisfaction.

6 domaines clés du bien-être subjectif

Une analyse approfondie des travaux en psychologie et économie comportementale nous a permis d'identifier 79 variables, appelées variables prédictives, qui influencent le SWB. C’est variables peuvent être décrites de évaluées grâces à des sous-variables tangibles et directement mesurables. Nous avons regroupé ces variables en 6 grands domaines:

  1. Le cadre socio-politique
  2. L’environnement matériel et l’éducation
  3. Le domaine interpersonnel
  4. Le domaine intrapersonnel
  5. La santé
  6. Le travail et les activités

Chacun de ces domaines se décompose en variables macro, puis en variables micro, qui peuvent à leur tour être déclinées en éléments tangibles et mesurables.

Les variables du SWB.

Quid des enjeux environnementaux

Bien qu’elle soit intrinsèquement une grandeur d’intérêt sociale, le bien-être subjectif est pertinent pour faire face aux enjeux environnementaux.

  1. Un lien direct entre environnement et bien-être humain
  2. La dégradation environnementale a des impacts directs sur le bien-être humain : stress lié aux catastrophes climatiques, anxiété écologique, ou encore baisse de la satisfaction de vie dans des environnements pollués. Des recherches montrent que les environnements naturels améliorent la santé mentale et réduisent les émotions négatives [6], et nos travaux de R&D nous ont permis de trouver une relation pour calculer l’effet des émissions de CO2eq sur le SWB : 1 tonne de CO2eq = 0.23 WELLBY (voir article sur le WELLBY)
  3. Un outil pour arbitrer les politiques environnementales
  4. Les décisions politiques ou entrepreneuriales impliquent souvent des compromis entre développement économique et protection environnementale. Le SWB permet d’évaluer ces choix sous l’angle de leur contribution nette au bien-être humain. Par exemple, des études ont montré que des investissements dans des infrastructures de transport propre peuvent à la fois réduire les émissions et améliorer le SWB en réduisant le stress lié au trafic et en augmentant l’activité physique [7].
  5. Une prise en compte de l’équité intergénérationnelle
  6. Le SWB permet de mesurer comment les décisions actuelles affectent les générations futures, non seulement à travers leurs impacts environnementaux directs, mais aussi via leur capacité à offrir des perspectives d’une vie épanouissante.

Pourquoi utiliser le SWB ?

Le SWB offre une approche unique et holistique pour mesurer ce qui compte réellement : le bien-être des individus. Contrairement à des indicateurs purement économiques ou environnementaux, il permet de capturer les impacts humains des politiques et des initiatives, en tenant compte des aspirations, des émotions et du sens perçu dans la vie des personnes.

1. Répondre à des limites des indicateurs traditionnels

Les métriques classiques comme le PIB ne reflètent pas l'impact des politiques sur le bonheur ou la santé mentale des populations. Par exemple, une augmentation du PIB n’est en général pas synonyme d’augmetation du bien-être des populations.[8]

Relation entre le PIB par habitant et le SWB.[8]

2. Favoriser une prise de décision éclairée

Les données sur le SWB peuvent orienter les politiques publiques et les stratégies d’entreprise en mettant en lumière les choix ayant les impacts les plus positifs sur les individus. Des initiatives favorisant un équilibre travail-vie personnelle élevé augmentent significativement la satisfaction de vie, même si elles n'ont pas d’effet direct sur les revenus.[2]

3. Promouvoir une société plus équitable et durable

Le SWB peut être utilisé pour révéler et réduire les inégalités, en mettant en évidence les écarts de bien-être entre différents groupes sociaux ou géographiques. Par ailleurs, il est un outil puissant pour intégrer des préoccupations intergénérationnelles, en mesurant les impacts sur le bien-être futur en lien avec des enjeux environnementaux ou économiques.

Quelles utilisations du bien-être subjectif ?

a) Pour placer le bien-être au cœur des politiques

Des pays comme la Nouvelle-Zélande et le Royaume-Uni ont placé le SWB au centre de leurs stratégies nationales. En Nouvelle-Zélande, le "Wellbeing Budget" (Budget du Bien-être) guide les décisions budgétaires pour maximiser l’impact sur la santé mentale, l’éducation et la durabilité environnementale. De son côté, le Royaume-Uni utilise des enquêtes régulières pour évaluer le SWB et ajuster les politiques publiques en fonction des priorités identifiées par les citoyens.

b) Pour orienter les stratégies d’entreprise et d’investissement

Les entreprises et les investisseurs engagés dans des approches ESG (Environnement, Social, Gouvernance) trouvent dans le SWB un outil puissant pour évaluer et maximiser leur impact. Par exemple, certaines organisations comme Unilever intègrent le bien-être de leurs employés et consommateurs dans leurs évaluations d’impact. Les fonds d’investissement à impact, tels que ceux soutenus par le GIIN (Global Impact Investing Network), s’appuient également sur des métriques de SWB pour prioriser des projets ayant un impact social et environnemental significatif.

c) Pour suivre et évaluer des projets sociaux et environnementaux

Comme évoqué plus haut, le SWB permet de quantifier les effets d’initiatives climatiques, sociales ou de toute autre nature, sur le bien-être des individus. Des organisations comme l'OCDE préconisent par exemple son utilisation pour évaluer l'efficacité de programmes de lutte contre la pauvreté ou d'amélioration de la santé.

Comment intégrer le SWB dans les stratégies ?

1. Collecte de données fiables

L’intégration du bien-être subjectif commence par une collecte rigoureuse de données..

2. Analyser les données et évaluer l’impact des interventions

Une fois les données collectées, il est crucial de les analyser pour comprendre l’effet des politiques ou initiatives sur le SWB. Cela implique de comparer les niveaux de SWB avant et après l’intervention et d’isoler les facteurs contribuant à ces changements.

3. Adopter un indicateur du SWB pour comparer des projets

En adoptant un indicateur fondé sur le SWB (comme les WELLBY), servant de monnaie commune pour quantifier les effets sur le SWB, il est possible de comparer simplement et justement des initiatives très différentes. Les décideurs peuvent ainsi comparer et prioriser les actions ayant le plus grand impact positif, et ce peu importe leurs natures.

4. S'engager sur une amélioration continue

L’intégration du SWB nécessite un suivi régulier et une adaptation constante des stratégies. Les organisations doivent fixer des objectifs clairs d’amélioration et ajuster leurs actions en fonction des retours des parties prenantes et des résultats obtenus.

5. Contribuer à la construction de normes communes

Enfin, les organisations ont un rôle à jouer dans la normalisation des mesures de SWB. En adoptant des standards partagés, elles facilitent les comparaisons intersectorielles et renforcent la crédibilité des décisions fondées sur le bien-être. Cela pourrait inclure une collaboration avec des organismes internationaux pour développer des cadres d’évaluation reconnus. Une telle démarche collective permettrait d’institutionnaliser le SWB comme un pilier central des décisions stratégiques.

Conclusion : placer le SWB au centre pour maximiser l’impact

Le bien-être subjectif s’avère une grandeur essentielle pour guider les décisions publiques et privées vers l'intérêt général. La Nouvelle-Zélande et le Royaume-Uni ouvrent la voie en intégrant cette approche dans leurs politiques. Chez Boussole, nous guidons les organisations à travers cette transition en leur proposant des outils innovants pour mesurer, comparer et optimiser l'impact de leurs initiatives sur le bien-être des populations.

Et vous, comment intégrez vous le bien-être subjectif dans vos décisions ? Participez à cette transformation stratégique et maximisez votre impact.

Sources

  1. Organisation for Economic Co-operation and Development (OECD). Better Life Index.
  2. World Happiness Report (2023). Measuring Subjective Well-Being Globally.
  3. Frijters, P., & Krekel, C. (2021). A Handbook for Wellbeing Policy-Making.
  4. Happier Lives Institute, Key Ideas, 2024, https://www.happierlivesinstitute.org/key-ideas/
  5. Capaldi, C. A., Dopko, R. L., & Zelenski, J. M. (2014). The relationship between nature connectedness and happiness: a meta-analysis, Frontiers in Psychology.
  6. Kahneman, D., & Krueger, A. B. (2006). Developments in the measurement of subjective well-being, Journal of Economic Perspectives.
  7. Andrew E. Clark, Sarah Flèche, Richard Layard, Nattavudh Powdthavee and George Ward (2017), Origins of Happiness

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